Les chroniques de Han-Maison
Chapitre 3
Charlie se met en marche vers le premier étage. Encore tout ensommeillé, je la suis. Je traine mes petits pieds dans le long corridor en tapis gris qui mène aux chambres de Martine, Nancy et Pit tout au bout. Charlie pousse la porte qui donne accès aux escaliers et la retient pour moi. C’est vraiment une gentille personne. Une fois arrivés dans le hall d’entrée, on enfile nos combinaisons en fourrure de lièvre. Elles sont toutes chaudes. C’est Martine, la mamie adoptive de Han-Maison, qui les a fabriqués. Sans cette protection, nous ne survivrions surement pas longtemps à la température extérieure.
Une fois que nos corps sont bien couverts, Charlie ouvre la porte. Paf, -50 °C. Réveillé d’un coup. Et le noir est total. Jusqu’à ce que mes yeux s’habituent en fait. Les étoiles et la Lune permettent de découvrir des silhouettes. Celles des arbres qui composent la forêt à gauche de Han-Maison. Celles aussi des énormes roches qui bordent le fleuve. La mince neige craque sous nos pas alors que nous marchons en direction de l’eau. Avant, l’Île aux lièvres était verdoyante et remplie de lièvres. Je n’en ai pas vu un depuis plus de trois mois. J’ai bien peur que mamie Martine y soit pour quelque chose. Le courant est assez fort ce matin sous la glace du fleuve, mais nous n’avons pas le luxe de rester près de la berge. Les poissons se trouvent en profondeur, là où ils ne se sont pas transformés en popsicles. Je prépare la « ligne ». Je la mets entre guillemets parce que nous n’avons pas vraiment de canne à pêche. C’est plutôt un long bout de fil de mamie Martine auquel on a accroché un poids et un hameçon sculpté dans le bois. Je lance donc la « ligne » à l’eau.
À peine ai-je le temps de m’installer confortablement pour attendre que le bruit d’un moteur lancé à pleine vitesse se fait entendre. Un side-by-sides d’un gris reluisant surgit d’une baie. De grosses chenilles lui permettent de se propulser sur le fleuve sans trop de danger. Il est endommagé à plusieurs endroits, mais ce devait être un très beau véhicule avant. Il avance dans notre direction. Définitivement. Je crois bien que je vais vivre l’expérience. On a de la visite. Charlie pousse un petit cri. De joie? Elle fouille dans son sac pour sortir ce qui ressemble à un petit couteau de poche. Elle se prépare pour un combat au corps-à-corps ou je ne sais quoi. Je lui donne un coup avec ma canne de marche pour tenter de lui rappeler qu’on est dans une situation de « s’enfuir à toutes jambes » et pas en train de recevoir un cadeau de Noël. Je pars ensuite en boitant à toute vitesse vers le couvert des roches près de la berge. Charlie me regarde partir en levant les mains dans les airs en signe d’incompréhension. Elle me retrouve sans effort dans un trou entre deux roches.
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Qu’est-ce que tu fais Émile? Me dit-elle en chuchotant. Ça ne sert à rien de te cacher, ils savent déjà qu’on est là. C’est pour ça qu’ils sont ici! Il ne nous reste plus qu’à les confronter.
D’accord, j’ajoute un adjectif à ce que j’ai dit plus tôt ce matin. Charlie est une personne vraiment gentille et terrorisante.
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Charlie, je ne sais pas ce qu’ils viennent faire, mais IL NE FAUT PAS les croiser. On se cache, ils repartent, et on continu notre journée, chuchotais-je avec le souffle court.
Une voix grave se fait entendre.
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Je sais que vous êtes là.
Merde.